Réflexion photographique n° 2 : L’attente

Même s’il est indispensable, dans certains cas, de prendre rapidement une photographie, reconnaissons que de nombreux photographes semblent ne pas avoir souvent mis en pratique la réflexion de Frank Horvat qui affirme que la photographie est « l’art de ne pas presser sur le bouton ».

Depuis que nous sommes passés de l’argentique au numérique l’on a cru comprendre qu’il fallait pousser sur le bouton le plus souvent possible, en toutes circonstances, en tous lieux et à tout moment. Comme si l’acte photographique était un acte purement machinal. C’est oublier que la photographie est avant tout un art lié à la prise de vue qui exige souvent un instinct de l’attente et non de la précipitation.

Attente, mais aussi patience et donc refus. Avoir la patience d’attendre le bon moment, le sujet non anecdotique, la lumière que l’on souhaite. Refuser de photographier l’insignifiant ou le mille fois vu sous le même angle. Refuser de photographier, car ce que l’on voit réellement sera mille fois plus « beau » ou plus « intéressant » ou plus « juste » que sa reproduction (encore que la photographie n’est jamais la reproduction du réel !).

Se retenir de déclencher, car l’angle n’est pas le meilleur, l’expression n’est pas la plus juste, la lumière n’est pas la plus adéquate, le sujet n’est pas le plus intéressant, parce qu’on pourra toujours refaire la même photo ou simplement parce que l’on refuse l’image ressassée…

Refuser de déclencher, c’est parfois recharger sa batterie intérieure pour reconnaître enfin l’image que l’on attendait…

Jean-Pierre Leclercq, membre du Photo-Club de Pont-à-Celles

Histoire d’une image : Le feu du carnaval de Jérôme Dubuc

Jerome

Comme chaque année, je parcours les rues du Carnaval de Chapelle-lez-Herlaimont, appareil à la main et tête à la fête.

C’était un mardi de mars 2012, jour du brûlage des bosses. Les sociétés de Gilles allument tour à tour leur feu pour danser au rythme des tambours. Une sorte de frénésie festive s’empare alors de ceux qui, comme moi, gravitent autour d’eux. Chacun devient alors une partie d’un tout : on ne voit que des électrons autour d’un même feu.

Les silhouettes incandescentes se détachent de l’autre côté des bûchers sans que l’on puisse s’en approcher : une sorte de mirage ou d’illusion ne faisant qu’ajouter à l’ivresse du moment.

C’est dans ces conditions que j’ai remarqué, de l’autre côté des portes de l’enfer, un meneur qui haranguait les siens. Je perds quelques secondes à admirer la scène, dégaine mon appareil, fais deux photos et l’instant est déjà passé.

De retour à la maison, je me vois forcé d’admettre que ma photo est bruitée et floutée. Flûte ! Mais à main levée à si faible vitesse…

Et c’est là que la magie opère. Sans savoir pourquoi, je ne l’ai pas supprimée. Je ne l’ai pas retravaillée non plus d’ailleurs. A tort ? Oui ! A raison ? Oui, aussi !

Elle invite à entrer dans la fête, dans ce microcosme flamboyant qu’est le Carnaval de Chapelle-lez-Herlaimont. Et c’est ce qui l’a sans doute sauvée de la corbeille !

Jérôme Dubuc, membre du Photo-Club de Pont-à-Celles

Histoire d’une image : Une photographie de Enrico Beltrame

ENRICOBETRALME

Photographe amateur et content de l’être, j’apprécie ces quelques moments que j’estime trop rares, lorsque je me trouve seul avec mon appareil photo devant un magnifique paysage ou une quelconque situation que je voudrais immortaliser.

Parfois la réussite est au rendez-vous, parfois c’est la déception, mais qu’importe. Même les grands photographes ont des déchets dans leurs réalisations. Tant que la passion demeure, je continuerai.

La photo que j’ai choisie m’a plu dès sa réalisation. Je me promenais dans les Alpes italiennes et pris un petit chemin qui ne menait nulle part dans l’espoir de trouver une belle photo à réaliser.

J’ai croisé ce vieux monsieur qui tout de suite m’ a inspiré. Je me suis arrêté et ai composé ce cliché qui j’espère vous plaira autant qu’il m’a plu. Je m’imaginais tout ce long chemin qu’il avait parcouru et Dieu seul sait où il s’arrêtera.

Enrico Beltrame, membre du Photo-Club de Pont-à-Celles

Réflexion photographique n° 1 : La pléthore

Jean Mounicq, grand photographe français, affirmait en 2012 que 90 % de livres photographiques ne devraient pas exister ! William Klein, autre grand photographe, affirmait que, si l’on voulait être honnête, la vie d’un photographe (même d’un grand photographe) se résume à une production digne d’intérêt (sur le plan artistique) oscillant entre 100 et 250 photos !

Ces réflexions de quelques « grands » devraient nous titiller. Elles n’entrent pas, malheureusement, dans le cadre de ce que l’on observe de plus en plus aujourd’hui. En effet c’est la profusion qui prend de plus en plus de place par rapport à la qualité photographique. Les plates-formes photographiques diverses sont des exemples souvent cités   : on y assiste non seulement à une profusion au détriment de la photographie qualitative, mais on y découvre aussi une confusion permanente entre ce qui est digne d’être montré au public et ce que l’on devrait garder pour soi ou pour un cercle familial.

Je ne vous apprends rien en vous disant que nous vivons dans une société de l’image : chacun croit donc bon de rendre publiques toutes ses propres productions même si elles ne présentent pas toutes un grand intérêt. C’est bien connu : tout le monde est photographe et se croit photographe ! Tout le monde aujourd’hui veut révéler au public et/ou publier ses photographies voire les exposer alors que celles-ci sont peut-être seulement dignes d’être montrées dans le cercle restreint de la famille ou de quelques amis.

Personne n’échappe à ce phénomène de la profusion et, comme le souligne un photographe, je pense que la poubelle est le meilleur ami du photographe !
Je ne suis qu’un photographe amateur (je ne vis pas de la photographie) et je me rends compte que j’élimine encore constamment des photographies : sur les quinze à vingt dernières années je n’ai montré au public que 550 photos. Encore beaucoup trop… et j’élimine de mois en mois. L’élimination, liée à un souci d’exigence, est une quête sans fin… et progressive ! Plusieurs réflexions de photographes (notamment celle de J-C Béchet avec sa technique de l’entonnoir) me poussent à viser à une élimination progressive, proche d’une auto-évaluation permanente. Et ce avant l’auto-destruction finale !!!

Jean-Pierre Poccioni, romancier et ami français, écrit ceci en prolongement de la petite réflexion personnelle qui précède :

« Prenons garde de ne pas mêler l’activité photographique “sociale” qui ne vise rien d’autre qu’une satisfaction personnelle et l’activité photographique à visée artistique dont un des buts est la constitution d’une oeuvre, éventuellement devant un public témoin. Sur le plan artistique je suis d’avis que la quantité, pléthorique ou non, est une notion qui ne présente pas beaucoup d’intérêt. Juge-t-on un peintre, un écrivain ou un musicien en fonction de la quantité d’oeuvres produites ?

Montrer des photos n’implique pas toujours une prétention artistique. Beaucoup de personnes agissent sous la pression d’un double effet. D’une part l’outil existe donc on l’utilise ! D’autre part l’époque fabrique un narcissisme qui compense en partie, ou tente de le faire, la déshumanisation de nos sociétés.

Ceux qui sur Facebook ou ailleurs s’exposent en dizaines d’exemplaires se montrent ou montrent ce qu’ils ont fait ou vu et cela est supposé intéressant en soi !

Et s’il n’est pas toujours facile d’échapper à certaines interminables séances de présentations de photographies dans le privé il est par contre facile d’éviter sur le Net les photographies sans intérêt.

Ainsi des auteurs sont heureux de voir leurs oeuvres publiées en ligne… même si personne ne les lit ou ne les regarde ! ».

Jean-Pierre Leclercq, membre du Photo-Club de Pont-à-Celles

 

 

L’histoire d’une image : la danseuse de Fabrice Chaufouraux

Samedi 21 mai 2011

Je suis au Palais des Beaux-Arts de Charleroi pour une prestation marathon : la couverture photographique du gala de danse de l’école Dance’s Passion, à Pont-à-Celles. Au programme, shooting des élèves, danseurs et danseuses, de trois ans à l’âge adulte, durant la répétition générale du samedi, ainsi que durant la représentation unique du dimanche.

La pression est forte, sur mes épaules comme sur celles des artistes et de leurs professeurs.

Ma plus grande fille, élève, devant être présente une heure à l’avance, je suis moi aussi très tôt sur place. Plongé dans le noir de la salle. Le temps semble suspendu.

Le matériel est prêt, vérifié et revérifié, à la lueur d’une lampe de poche, presque de manière obsessionnelle.

Au bout d’un moment, cinq jeunes filles en tutu blanc apparaissent sur la scène. Il n’y a pas encore de lumière, pas de musique… Rien n’a vraiment commencé.

Néanmoins, je saisis mon appareil et m’approche un peu.

Les fille sont groupées, parlent et rient, passent le temps en attendant que la répétition commence.

Il n’y a pas assez de lumière et les filles me tournent le dos : je ne ferai rien de bon.

Je passe le temps en discutant de tout et de rien avec le caméraman.

Puis, soudain, du coin de l’oeil, je vois la scène qui change. Le groupe de danseuses se sépare, s’éloigne, tandis que l’une d’entre elles s’assied au sol pour ajuster son chausson.

La scène est parfaite, et c’est à ce moment que le responsable éclairage allume son traceur dont la lumière enveloppe aussitôt la jeune fille assise. Hasard, ou lui aussi a-t-il été séduit par le tableau ?

Cette fois, elle est là, la photo !

J’abandonne ma conversation sans remords, vise, ajuste le cadrage… Cela va très vite. Je déclenche. Une seule fois. Le traceur est maintenant sur une autre cible.

Je regarde mon écran… À première vue, c’est tout bon. Restera à voir cela sur grand écran pour mieux juger de la netteté, mais j’ai confiance. J’ai envie de dire merci.

Ce sera la première photo de ce long week-end. La première d’une série de trois mille photos. La première, et la meilleure.

Dès le soir, je sais que cette photo, je voudrai la montrer.

La jeune fille est mineure, je devrai d’abord avoir l’accord de ses parents. Je me renseigne, on me dit son nom, mais cela en reste là.

J’oublie son nom, je renonce presque à poursuivre.

 

Avril 2012

Presqu’un an plus tard, j’accueille un stagiaire dans ma classe.

Lors d’une visite d’une de ses pédagogues, nous discutons de choses et d’autres. De Pont-à-Celles, de l’école de danse, de mon rôle de photographe…

La pédagogue s’exclame alors : « Mais c’est vous, alors, qui avez fait cette magnifique photo de ma fille ! »

Je lui parle des documents d’autorisation. Elle recevra un agrandissement imprimé avec soin… Nous sommes d’accord.

Pour la seconde fois, j’ai envie de dire merci…

Fabrice Chaufouraux, membre du Photo-Club de Pont-à-Celles