Réflexion photographique n° 3 : La manière de prendre le sujet

Nous ne pouvons nier que la plupart des sujets ont déjà été photographiés (La Bruyère disait déjà au 17e siècle que tout avait été dit !).

Néanmoins, dans le cadre d’une photographie souhaitant développer une vision personnelle ou plus « artistique » (très éloignée d’une photographie de type documentaire), nous nous rendons compte que la déception du spectateur est souvent liée à la manière de photographier le sujet qui, le plus souvent, a toujours été photographié de la même manière, sans vision créative. Pensez à la photographie devenue souvent insupportable du Taj Mahal ou de la tour Eiffel !

On peut observer le même phénomène dans le domaine de la littérature : le thème de l’amour (sujet rabâché s’il en est) peut être traité médiocrement avec tous les clichés y afférents ou peut être traité d’une manière originale par des écrivains de talent.

Pour en revenir à la photographie (à visée « artistique »), sans nier la valeur du sujet, c’est surtout la manière de prendre celui-ci qui est importante.

Prenons l’exercice que j’appelle « l’exercice de la statue » : demandez à dix photographes de photographier une statue, selon leur vision personnelle, et vous décèlerez rapidement les diverses approches et les éventuels talents.

Créer sa vision personnelle même en photographiant un sujet maintes fois photographié ? Possible et cela relève de l’art. Et cela s’apprend : cadrage, composition, traitement, point de vue, vue partielle ou totale, écriture… tout s’apprend, mais peut aussi être transgressé à la condition de savoir pourquoi l’on transgresse tel ou tel principe.

Par contre, faire et refaire ce que de nombreux photographes ont réalisé bien mieux que nous, cela n’a aucun intérêt. Pensons à ces interminables pauses lentes en format carré, à ces portraits éculés et bien colorés (parfois en HDR !!!) d’africains et asiatiques, vus de face si possible, à ces paysages d’Islande vus et revus cent fois, à ces « à la manière de », à ces visions touristiques toujours les mêmes, aux nombreux « Street Shot » sans réel intérêt (comme s’il suffisait de photographier des gens dans la rue !), etc.

C’est donc bien, comme le souligne le grand Arnold Newman, la manière dont on photographie, pas ce que l’on photographie, qui importe. En d’autres termes, je pense que le sujet, quel qu’il soit, peut-être transcendé par la vision personnelle du photographe.

Et finalement l’écoeurement que nous subissons parfois à voir les mêmes sujets traités sous le même angle devrait être un détonateur pour nous stimuler à sortir des sentiers battus par des voies alternatives liées à un regard à la fois sincère, personnel et créatif.

Jean-Pierre Leclercq, membre du Photo-Club de Pont-à-Celles

Photographier ou rechercher l’âme derrière les choses

Je vous livre ici une réflexion de Patrick Tombelle, photographe belge, qui nous rappelle la nécessité de rechercher l’invisible derrière les apparences…
Cette réflexion a été écrite dans le cadre de ses expositions à Bruxelles en 2014.
Patrick Tombelle, adepte du noir et blanc, nous offre ici deux photographies en argentique (il photographie aussi en numérique) présentées parmi d’autres dans le cadre de ces expositions.

“Ainsi, il va, il court, il cherche. Que cherche-t-il ? À coup sûr, cet homme, ce solitaire doué d’une imagination active, toujours voyageant à travers le grand désert d’hommes, a un but plus élevé que celui d’un pur flâneur, un but plus général, autre que le plaisir fugitif de la circonstance.” Ainsi parlait Baudelaire du peintre Constantin Guys.

On pourrait, sans trop forcer l’imagination, entrevoir dans cette description l’image d’un personnage plus actuel encore que le Peintre de la vie moderne auquel l’auteur fait référence ici : j’ai nommé le photographe. Pourtant, Baudelaire, comme d’autres de ses contemporains, craignait la photographie. La voyant s’avancer toute auréolée de son habileté technique à “peindre” parfaitement le monde tel qu’il nous apparaît, elle lui semblait destinée à réduire l’art du futur à sa simple fonction de représentation du réel.

Pour Baudelaire ainsi que pour la plupart des peintres, savoir représenter le monde, la nature, les choses, ne pouvait se limiter à des considérations purement physiques, ne touchant que l’apparence extérieure. Ce que cherchaient les artistes, c’était de trouver, de voir et de faire voir derrière cette couche fine des apparences, une réalité plus profonde, plus essentielle. Ne dit-on pas du visage qu’il est le miroir de l’âme ? Derrière ce qu’aperçoivent nos yeux, il y aurait donc autre chose suffisamment digne d’intérêt pour motiver les artistes pendant des siècles et même des millénaires à continuer la “recherche de cette beauté mystérieuse qui se trouve dans la vie involontairement” (Baudelaire).

Bien que je reconnaisse l’admirable prouesse scientifique que représentent l’invention et le développement de la photographie, je ne me suis jamais senti suffisamment transporté – au point d’en parler pendant des soirées entières – par l’incroyable capacité technique qu’elle a de représenter si facilement le réel. Au contraire, quand je compare cette facilité à ce qu’a dû signifier pour tant de peintres une vie entièrement consacrée à l’étude et à la pratique d’un art aussi contraignant que celui de la peinture et cela sans même avoir la garantie d’atteindre le but plus profond de l’âme, j’ai presque honte de prétendre au qualificatif commun d’artiste. Alors, ne serait-ce que pour dépasser ce sentiment et quand même m’inscrire dans le monde où je suis né, j’ai très tôt dans ma vie senti une sorte de nécessité primordiale, si pas d’atteindre, en tous cas de continuer à rechercher cette âme qui se cache derrière les choses, qu’elles soient visages ou paysages, l’âme, ni la beauté d’ailleurs, ne semblant pas avoir encore livré tous leurs secrets.

Les moyens ont changé mais les mêmes vraies questions demeurent.

Patrick Tombelle

tombellemerreduit

tombellepigeonreduit

L’histoire d’une image : une photographie de Benoit Lanis

BENOITLANIS

Ou je dirais plutôt, « histoire d’une rencontre » …

Dimanche 4h00 du matin. Le téléphone, posé sur la table de nuit, sonne sa tendre petite mélodie. Je saute dessus et l’éteins pour que ma douce ne se réveille pas. Je quitte difficilement les bras de Morphée, mais le souvenir de mon affût infructueux de la veille me trotte encore dans la tête. Rien, pas une photo valable, mais, surtout, pas une rencontre tant attendue avec le maître de la forêt… nommé « cerf » !

Toujours couché dans le lit bien chaud, j’écoute… Le temps pourri de la veille nous a-t-il enfin quittés ? Cela semble être effectivement le cas, mais le vent souffle fort.

J’hésite à sortir de ce doux cocon et pense même à la dure semaine de travail qui me guette. Et si je restais au lit, bien au chaud, à attendre que les enfants se lèvent ?

Une dizaine de minutes de somnolence plus tard , je m’extirpe délicatement du lit et, à la lueur de ma lampe de poche, je commence à m’habiller chaudement : pantalon de camouflage, damart, grosses chaussettes, pull kaki. Je quitte le chalet en prenant au passage le matériel méticuleusement préparé la veille.

Dehors , tout est calme et noir… un noir profond , inquiétant et exaltant à la fois.
Je monte dans la voiture et, une dizaine de minutes plus tard, je me trouve à une des entrées du bois. Une marche d’une trentaine de minutes, à la seule lueur de la lune, m’emmène à l’endroit que j’avais prévu. Je me glisse sous mes filets de camouflage et commence alors une longue attente dans le froid la nuit.

De mes sens, seuls l’ouïe et l’odorat me sont utiles… il fait encore trop noir !

Après de longues heures à attendre, toujours rien… La poisse de la veille me poursuivrait-elle ?

7h00 , un bruit curieux se fait entendre au dessus de moi. Génial, une montgolfière ! C’est encore raté pour au moins une demi-heure heure avant qu’un animal ne décide de ressortir. J’en profite pour traîner un peu, de toutes façons ce sera un week-end raté pour la photo !

7h24, ma marche est lente et la plus silencieuse possible quand, tout à coup, une biche part en courant tout en poussant son aboiement caractéristique… trop rapide pour que je puisse l’immortaliser ! Mais, au même instant, je ressens une étrange impression : je me sens observé ! Doucement, je me retourne et vois, au pied d’un bouleau, un jeune faon. Son mimétisme est parfait. Seule son inquiétude visible au travers de ses deux grands yeux noirs trahit sa présence. Je pose doucement mon trépied et prends quelques clichés avant de repartir tout aussi doucement. Il avait davantage besoin de sa mère que de l’homme pour le rassurer !

Voici donc l’histoire d’une photo qui, hormis son caractère purement photographique, laisse à chaque fois dans ma mémoire des souvenirs indélébiles de rencontre, de proximité et de respect avec la faune sauvage.

Benoit Lanis, membre du Photo-Club de Pont-à-Celles

Réflexion photographique n° 2 : L’attente

Même s’il est indispensable, dans certains cas, de prendre rapidement une photographie, reconnaissons que de nombreux photographes semblent ne pas avoir souvent mis en pratique la réflexion de Frank Horvat qui affirme que la photographie est « l’art de ne pas presser sur le bouton ».

Depuis que nous sommes passés de l’argentique au numérique l’on a cru comprendre qu’il fallait pousser sur le bouton le plus souvent possible, en toutes circonstances, en tous lieux et à tout moment. Comme si l’acte photographique était un acte purement machinal. C’est oublier que la photographie est avant tout un art lié à la prise de vue qui exige souvent un instinct de l’attente et non de la précipitation.

Attente, mais aussi patience et donc refus. Avoir la patience d’attendre le bon moment, le sujet non anecdotique, la lumière que l’on souhaite. Refuser de photographier l’insignifiant ou le mille fois vu sous le même angle. Refuser de photographier, car ce que l’on voit réellement sera mille fois plus « beau » ou plus « intéressant » ou plus « juste » que sa reproduction (encore que la photographie n’est jamais la reproduction du réel !).

Se retenir de déclencher, car l’angle n’est pas le meilleur, l’expression n’est pas la plus juste, la lumière n’est pas la plus adéquate, le sujet n’est pas le plus intéressant, parce qu’on pourra toujours refaire la même photo ou simplement parce que l’on refuse l’image ressassée…

Refuser de déclencher, c’est parfois recharger sa batterie intérieure pour reconnaître enfin l’image que l’on attendait…

Jean-Pierre Leclercq, membre du Photo-Club de Pont-à-Celles

Histoire d’une image : Le feu du carnaval de Jérôme Dubuc

Jerome

Comme chaque année, je parcours les rues du Carnaval de Chapelle-lez-Herlaimont, appareil à la main et tête à la fête.

C’était un mardi de mars 2012, jour du brûlage des bosses. Les sociétés de Gilles allument tour à tour leur feu pour danser au rythme des tambours. Une sorte de frénésie festive s’empare alors de ceux qui, comme moi, gravitent autour d’eux. Chacun devient alors une partie d’un tout : on ne voit que des électrons autour d’un même feu.

Les silhouettes incandescentes se détachent de l’autre côté des bûchers sans que l’on puisse s’en approcher : une sorte de mirage ou d’illusion ne faisant qu’ajouter à l’ivresse du moment.

C’est dans ces conditions que j’ai remarqué, de l’autre côté des portes de l’enfer, un meneur qui haranguait les siens. Je perds quelques secondes à admirer la scène, dégaine mon appareil, fais deux photos et l’instant est déjà passé.

De retour à la maison, je me vois forcé d’admettre que ma photo est bruitée et floutée. Flûte ! Mais à main levée à si faible vitesse…

Et c’est là que la magie opère. Sans savoir pourquoi, je ne l’ai pas supprimée. Je ne l’ai pas retravaillée non plus d’ailleurs. A tort ? Oui ! A raison ? Oui, aussi !

Elle invite à entrer dans la fête, dans ce microcosme flamboyant qu’est le Carnaval de Chapelle-lez-Herlaimont. Et c’est ce qui l’a sans doute sauvée de la corbeille !

Jérôme Dubuc, membre du Photo-Club de Pont-à-Celles